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La vitamine D, du caviar pour le système immunitaire

Extrait du n°12

S’il est un grand absent des débats sur les plateaux télé en cette période difficile sur le plan sanitaire et décisionnel que nous traversons, c’est certainement notre système immunitaire. C’est pourtant un mécanisme d’horlogerie redoutablement efficace, permettant un équilibre vital pour chaque organisme, sans lequel nous n’aurions aucune chance de survivre.

C’est avec joie que j’ai accepté l’invitation de la revue « À notre santé ! S’unir pour guérir » à écrire un article sur ce qui sera sans aucun doute la vitamine du XXIe siècle, j’ai nommé la vitamine D. Dans ma pratique de chirurgie de l’obésité, cette vitamine m’a, jusqu’alors, plutôt été présentée comme un adjuvant essentiel à la minéralisation osseuse, agissant de concert avec le calcium. Cette synergie nous est vite apparue indispensable pour éviter les déminéralisations occasionnées par une chirurgie bariatrique telle que le bypass gastro-jéjunal, qui consiste en la création d’une véritable malabsorption digestive. Par ailleurs quelle ne fut pas ma surprise de constater, du fait de sa mise en lumière en plein cœur de la crise sanitaire nommée COVID-19, de découvrir ses inestimables effets sur l’immunité. Je voulais, par ce modeste article, vous faire part de ce caviar bon marché pour l’organisme.

Immunité et vitamine D

Ce système immunitaire fait intervenir de nombreux constituants, et parmi ceux-ci il en est un qui sort de l’ombre depuis une dizaine d’années, c’est ce qu’on nomme sous le terme de Vitamine D. Oh ! Non pas que nous ne la connaissions pas depuis bien plus longtemps, notamment sur son rôle pour le renforcement osseux, mais aussi certaines maladies chroniques (sclérose en plaques, polyarthrite rhumatoïde, diabète de type 1) par son action immunomodulatrice. Mais sa fonction capitale sur nos mécanismes de défenses immunitaires est de plus en plus révélée comme cruciale, dans de nombreuses études depuis 2010. Dans le cadre de l’épidémie de COVID-19, c’est à tel point que l’Académie Nationale de Médecine s’est sentie obligée de publier un communiqué en date du 22 mai 2020 dans son rôle d’atténuation de « la tempête inflammatoire et ses conséquences » (1), même si hélas ceci n’a fait l’objet que de peu de relais médiatiques.

D’où vient-elle ?

On la trouve dans la nature sous deux formes, inactives, c’est-à-dire qu’elles ont besoin d’être transformées par l’organisme pour avoir un effet.

La vitamine D2 (ergocalciferol) est produite par les plantes, champignons (exposés au soleil et non pas en caves) et levures. C’est elle qu’on retrouve dans la plupart des compléments alimentaires.

La vitamine D3 (cholécalciférol) existe dans les poissons gras, l’huile de foie de morue, le jaune d’œuf. Mais leurs quantités sont bien inférieures à l’apport nécessaire journalier, en cas de faible exposition au soleil. C’est aussi la D3 qui est synthétisée par notre peau, via les UVB (longueur d’onde 290-315 nm), à partir du cholestérol. C’est pourquoi on a tendance à la nommer fort justement « la vitamine du soleil ». C’est aussi la D3 qui est dosée dans le sang, pour détecter les éventuelles insuffisances.

Ces deux formes D2 et D3 sont cependant inactives. La forme active, appelée calcitriol, le deviendra après transformation par le foie et le rein. C’est ce calcitriol qui permet la réabsorption du calcium et du phosphore par les intestins, et du calcium par les reins, assurant ainsi le remodelage osseux et évitant la déminéralisation. Mais, en se fixant sur les récepteurs qui lui sont dédiés sur les cellules de l’organisme, il va agir en synergie avec les récepteurs de la vitamine A, laquelle permettra l’action du calcitriol. Ainsi les carences en vitamine D auront un rôle néfaste sur le fonctionnement de la vitamine A.

Un pionnier de la vitamine D

Impossible de parler de la vitamine D sans mentionner le nom du professeur Mickael Holick, l’un des plus grands spécialistes de cette hormone (car c’en est une, c’est-à-dire un messager pour les cellules de l’organisme). Ce professeur de médecine, physiologie et biophysique, est aussi directeur de la clinique de soins de santé osseuse et directeur du centre de recherche sur l’héliothérapie, la lumière et la peau du Boston University Medical Center. Il a été le premier à l’identifier sous sa forme circulante dans le sang (25-OH D3) et sa forme active (1,25-OH D3 ou calcitriol) après diverses étapes de métabolisation, depuis le cholestérol sous la peau, en passant par le foie et les reins (2).

Vitamine D et COVID-19

Plus récemment, le Pr Holick a prouvé l’utilité de la vitamine D dans la prévention des infections à Sars-CoV-2, mais aussi des complications graves de la COVID-19, la maladie causée par le Sars-CoV-2. En effet, les patients qui avaient un taux sanguin de vitamine D suffisant, soit au moins 30 ng/mL de 25-OH D3, avaient un risque réduit de résultats cliniques défavorables, notamment de perte de conscience, d’hypoxie (manque d’oxygène) et de décès. (3) Cela s’explique d’une part par un effet stimulateur des globules blancs, mais aussi par un rôle frénateur de la sécrétion d’interleukines, qui sont des marqueurs d’inflammation, particulièrement IL1 et IL6, empêchant ainsi l’emballement incontrôlé de notre système immunitaire. En clair, la vitamine D prévient le redoutable orage cytokinique, qui est à l’origine des pathologies pulmonaires entrainant l’hypoxie symptomatique, les entrées en réanimation et les décès.

Et les autres infections ?

Mais la COVID-19 n’est pas la seule pathologie infectieuse respiratoire (pneumonie, tuberculose) qui pourrait trouver un engrenage de résolution avec la vitamine D, tant l’action de cette dernière sur les gènes de l’immunité est grande, pensez donc : cette seule molécule intervient sur au moins 291 gènes régulant la fonction immunitaire, la mortalité cellulaire et toute une série de processus biologiques, et plus encore si l’on donne des doses plus élevées quotidiennes. (4) Un de ses effets les plus connus est la création d’un antibiotique naturel, la cathélicidine, par les macrophages et les lymphocytes. (5)

En cas de carences en vitamine D, les infections nosocomiales sont deux fois plus fréquentes (6). Or ces infections sont estimées à 750 000 par an en France, corrélées à 9000 décès, avec un surcout inclus dans une fourchette entre 2.4 et 6 milliards d’euros selon un récent rapport su Sénat. (7) Imaginez les économies humaines et financières d’une supplémentation systématique chez les patients à risques de carence.

La lutte contre les cellules cancéreuses, c’est aussi le rôle de notre système immunitaire.

Cette action sur tant de gènes explique également le rôle de cette vitamine dans la diminution des risques relatifs d’apparition de certains cancers (colon, prostate, sein, pancréas), qui font également intervenir notre système de défense immunitaire. Ceci a été constaté dans de multiples études observationnelles comparant des sujets ayant des taux sériques normaux et un groupe témoin.

Dans une étude qui voulait comparer l’intérêt de la supplémentation en vitamine D chez des femmes ménopausées pour la prévention des fractures osseuses, il a été constaté, au décours des 4 ans de cette étude, que dans le groupe des femmes supplémentées le nombre de cancers était inférieur de 60 % ! (8) Cependant, aucune étude n’a pu encore démontrer l’intérêt d’une supplémentation en préventif.

Autrement dit, la détection d’une carence vitaminique D et sa supplémentation systématique sitôt le diagnostic de cancer évoqué devrait devenir un réflexe pavlovien chez le praticien.

Faire le plein de vitamine D

On estime qu’une exposition au soleil dès les beaux jours, de 20 à 30 minutes sur une grande partie du corps, permet de produire entre 10 000 et 25 000 UI (Unité Internationnale) de vitamine D, en fonction de la saison, du moment de la journée (idéal 10 h –15 h) et de la couleur de peau (les peaux plus foncées ont besoin de plus d’exposition, à cause de la mélanine).

En dehors de ces périodes, l’alimentation peut être source d’apports (huile de foie de morue, poissons gras type harengs, sardines, œufs), mais bien inférieurs aux besoins journaliers. C’est pourquoi il faudra souvent avoir recours à une supplémentation vitaminique.

Il ressort de ces constatations des écueils fréquents à un bon taux de vitamine D dans le sang :

Les crèmes solaires empêchent l’action des rayons UVB, jusqu’à 99 % (9). Il en est de même pour toute cause d’absence de mise au soleil (confinement, burka…) ou empêchant les rayonnements solaires (pollution atmosphérique, nuages).

La peau pigmentée : les personnes à la peau noire ont un taux sérique de vitamine D plus bas que les sujets blancs, à cause de la mélanine.

En hiver, inutile de chercher à s’exposer, l’horizontalité des rayons ne permet pas l’action de formation de la D3.

L’obésité, du fait de la séquestration du cholécalciférol dans les cellules adipeuses, et donc sa non-libération dans la circulation sanguine.

L’âge : une personne de plus de 70 ans produit 75 % de vitamine D de moins qu’une personne de 20 ans. La supplémentation devrait être la règle.

Le stress joue un rôle fondamental dans l’inactivation de la vitamine D, pour la simple raison que cette hormone stéroïde entrera en conflit avec un autre stéroïde, le cortisol, sécrété en grande quantité dans les périodes de stress, aigu ou chronique. Ainsi, il n’est pas utile de se gaver de vitamine D quand on vit en état de stress permanent, mais la gestion de ce dernier sera primordiale sur toute supplémentation.

La caféine semble faire diminuer le taux sérique de cholécalciférol, selon une étude coréenne faite sur de jeunes hommes, selon leur fréquentation plus régulière ou non de restaurants, où la consommation de café est plus importante qu’à domicile. (10) De plus, la caféine semble faire augmenter le taux de cortisol, comme le stress.

Les insuffisances hépatiques et rénales : les zones de transformation par hydroxylation ne font plus leur travail efficacement. Ces patients sont plus à risque de déminéralisation osseuse et donc de fractures, mais aussi plus sensibles aux infections. Il faudra supplémenter ceux-ci avec une forme médicamenteuse directement efficace (le calcitriol), n’ayant pas besoin de transformation dans l’organisme.

Conclusion

Si la vitamine D est indispensable à une bonne santé, elle est vraiment du caviar pour notre système immunitaire, agissant sur des centaines de gènes le concernant, en fonction du taux sanguin. Le cout d’une exposition au soleil est quasi nul, le dosage sanguin et la supplémentation médicamenteuse loin de pouvoir ruiner notre système de santé, pour un bénéfice humain et financier considérable. Sans se substituer aux traitements classiques médicaux ou chirurgicaux, le praticien de la santé a tout à y gagner en la considérant comme un allié, car il n’a pas fini de découvrir les multiples qualités vitales de cette molécule peu couteuse, facile à prendre et sans le moindre effet secondaire.

Dr Éric Loridan
Chirurgien digestif et bariatrique
Boulogne-sur-Mer
loridaneric1@gmail.com

Références

(1) https://www.academie-medecine.fr/communique-de-lacademie-nationale-de-medecine-vitamine-d-et-covid-19/

(2) The Vitamin D Solution: A 3-Step Strategy to Cure Our Most Common Health Problems (Anglais) Broché – 22 février 2011. de Michael F. Holick Ph.D. M.D

(3) SARS-CoV-2 positivity rates associated with circulating 25-hydroxyvitamin D levels. Kaufman HW, Niles JK, Kroll MH, Bi C, Holick MF (2020) SARS-CoV-2 positivity rates associated with circulating 25-hydroxyvitamin D levels. PLOS ONE 15(9): e0239252. https://doi.org/10.1371/journal.pone.0239252

(4) Film « Mal-Traités », interview du Pr Holick (42e minute).

(5) Utilisation de la vitamine D dans la pratique clinique. John J Cannell , Bruce W Hollis, Altern Med Rev 2008 mars; 13 (1): 6-20

(6) Quraishi SA, Litonjua AA, Moromizato T, Gibbons FK, Camargo CA Jr, Giovannucci E, Christopher KB. Association between prehospital vitamin D status and hospital-acquired bloodstream infections. Am J Clin Nutr 2013;98(4):952-9.

(7) https://www.senat.fr/rap/r05-421/r05-4213.html

(8) Lappe JM, Travers-Gustafson D, Davies KM, Recker RR, Heaney RP. Vitamin D and calcium supplementation reduces cancer risk: results of a randomized trial. Am J Clin Nutr 2007;85(6):1586-91

(9) Sunscreens suppress cutaneous vitamin D3 synthesis L Y Matsuoka, L Ide, J Wortsman, J A MacLaughlin, M F Holick J Clin Endocrinol Metab 1987 Jun;64(6):1165-8.

(10) Serum Vitamin D Level Related to Coffee Consumption in Korean Young Adults Using the 5th Korea National Health and Nutrition Examination Survey Hee-Sook Lim, J Bone Metab. 2017 Nov; 24(4): 229–233.

+ Une carence en vitamine D favorise le cancer du sein : https://www.sciencesetavenir.fr/sante/cancer/une-carence-en-vitamine-d-favorise-le-cancer-du-sein_102

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